L'ivresse des sens [Shinya]

Kiyoharu n'avait pas pour habitude de se servir dans l'hôtel de passe pour satisfaire ses besoins sexuels. Il détestait même l'idée de devoir payer pour baiser, préférant largement le désir réciproque et l'attirance mutuelle qui poussaient deux êtres à s'envoyer en l'air sauvagement. Seulement, ses quelques amants n'étaient présentement pas disponibles, et il évitait de se promener dans les rues en plein jour maintenant qu'il avait descendu les traqueurs que Rui avait assignés à Mika. Quant aux femmes et aux hommes qui faisaient le trottoir à cette heure-là... Ce n'étaient que des déchets, des cadavres titubants, qu'il n'aurait même pas eut plaisir à violer. Alors, il était contraint de parcourir les couloirs du bordel en étudiant attentivement les fiches de chaque prostitué. Il le faisait sans grande motivation, malgré les tremblements d'impatience et de désir qui le parcouraient - S'il ne trouvait pas vite quelqu'un à se mettre sous la bite, il allait finir par perdre la raison. Cette terrible sensation de manque, qui ne s'atténuait ni avec la prise d'alcool ni avec celle des drogues les plus efficaces le mettait dans un état second qu'il ne supportait pas - Il était prêt à bondir sur quiconque passerait près de lui. Ce qui le mettait le plus mal à l'aise, dans ces moments, c'est que son élégance naturelle, sa voix habituellement suave et charmeuse, et surtout sa politesse exemplaire en prenaient un coup. Il n'était plus qu'un loup hargneux avide de sang.

Il passa une main froide sur son visage et s'alluma une énième cigarette en s'adossant à un mur. Fermant les yeux un instant pour canalyser ses émotions et les flux d'excitation qui traversaient son corps, il tira quelques taffes en priant le ciel pour qu'on le délivre de cette maladie excécrable (Qui ne l'était que lorsqu'il n'avait pas d'amant, bien entendu.). Il rouvrit les yeux brutalement pour continuer sa quête, mais son regard fut irrémédiablement attiré par la photo fixée sur le mur d'en face. Il s'agissait d'un jeune homme, bien que son visage soit infiniment délicat à la manière d'une femme, dont le nom ne lui disait rien. Il n'avait certes pas souvent mit les pieds ici, mais en général les prostitués ne se limitaient pas aux chambres de la maison close ; pourtant celui-ci lui était parfaitement inconnu. Le fait le plus étrange était que plus il étudiait ce visage étonnament doux, dont les yeux reflétaient un absurde mélange de mélancolie et d'indifférence, plus l'énervement incontrôlable se dissipait. Il finit par être totalement absorbé dans la contemplation de cette figure merveilleuse, totalement dénué de toute excitation malvenue. C'était lui qu'il voulait. Mais, étrangement, il n'avait plus envie de sexe pur. Il voulait seulement contempler son corps et toucher sa peau, comme s'il s'était s'agit d'une oeuvre d'art composée d'une main de maître. Il voulait étreindre cette indifférence et en assimiler l'essence...

Soudainement apaisé, il reprit peu à peu ses esprits et se redressa en replaçant correctement les pans de sa veste. Après quoi, il toqua trois fois à la porte, assez fermement pour être entendu de l'autre côté, quoi qu'il se passe dans cette chambre. En espérant que le jeune homme y soit...

La lumière terne de la table de chevet lui éclairait avec peine les lettres et Shinya refusait absolument d’allumer celle de l’autre côté, cela pourra bien chasser la douce atmosphère qui baignait la chambre. Il plongeait dans les mots de Maupassant en essayant d’oublier où est-ce qu’il était, ou pas d’ailleurs. Il était là pour un adieu de toute façon, alors qu’il se passe aux bonnes manières. Il espérait grandement que personne n’aie envie de lui gâcher son bonheur éphémère de solitude, même si c’était trop peu probable. Ses jambes maigres perçaient moelleusement le lit qu’il avait cessé de trouver sale depuis des lustres et son dos reposait inconfortablement sur le bord du lit alors que ses mains tenaient faiblement un livre devant ses yeux. C’était trop beau pour une dernière nuit dans e putain de bordel. Non qu’il aille lui manquer, ce n’était pas spécialement facile de travailler dans un lupanar, qui plus est, dans une ville de junkies, mais cette chambre l’avait servit d’hébergement et de gagne-pain alors qu’il était vraiment dans la merde et le fait que le patron l’avait accepté de nouveau dans son foutoir lui était d’une grande aide et il lui était reconnaissant. Cependant, il n’en pouvait plus, de tous ces types qui venaient affamés de sang et de sperme, il en avait sa claque d’eux. Imperceptiblement, il avait perdu le fil de ses lignes et songeait plutôt à la raison qui lui faisait demeurer dans cette chambre ce soir. Une dernière nuit, ce n’était pas si mal que ça, rien que par gratitude envers le patron et pour saluer sa chambre fidèle. Néanmoins, il s’assura qu’il n’avait pas le cul bordé de nouille ce soir quand il entendit trois tocs parvenant de l’autre côté de la porte. Shinya ferma le livre après avoir plié la feuille qu’il était entrain de lire et se pencha pour poser son roman en dessous du lit. Après quoi il se releva mollement et se dirigea vers la porte en trainant les pieds mais en prenant soin de saisir sa veste qui pendait sur une chaise non loin de lit afin de se couvrir les bras qui commençait déjà à refroidir.

-Oui ?

Il avait ouvert la porte d’un air plutôt las sans se soucier de qui aura pu être derrière, mais quand il vit l’homme bien présentable devant lui, il se rappela soudain qu’il était toujours en service. Un client. Il ouvrit grand la porte comme pour l’inviter à entrer mais comme l’homme de réagissait pas, apparemment pris de cours, il choisit hâtivement de parler.

-Voilà, entrez si vous le voulez.

L’homme revint enfin parmi eux et pénétra la chambre d’un par légèrement hésitant, il avait l’air bizarrement déconcentré même s’il ne semblait pas le genre de personne qui n’avait jamais mis pied dans un bordel. Shinya s’en foutait pas mal, il revint au lit et s’assit au bord en attendant que l’homme se décide de faire quelque chose. Il essayait peut être de ne pas le montrer, mais il était vraiment lassé et était impatient pour que cela finisse le plus vite possible. Toutefois, maintenant sous la lumière, le corps trop bien fait de son client attira son attention. Pourquoi était-il venu dans un bordel alors qu’il avait un corps que Shinya jugeait extrêmement avantageux et qui pouvait surement lui procurer beaucoup plus d’amants qu’il n’aille le besoin d’aller assouvir ses besoins dans une maison de passe ? On ne sait jamais de toute façon se répéta-t-il mentalement.

Kiyoharu n'attendit pas plus d'une minute, et déjà la porte s'ouvrait. Son assurance s'effondra quand il vit enfin l'être qui se tenait négligemment contre la porte - La photographie était une insulte à sa beauté. Malgré la lassitude qui alourdissait ses traits, le jeune homme possédait une grâce naturelle qui le rendait fascinant ; dans ce milieu de débauche et de saleté, au milieu de cette chambre morbides aux ignobles relents de sperme et de sueur impure, il était tout en charme et en pureté. Kiyoharu fit quelques pas dans la pièce, craignant de rompre l'atmosphère étrange qui y régnait - Malgré l'apparence glauque de la chambre, le garçon semblait y trouver beaucoup de sérénité, et c'était ce qui le troublait le plus.

Il se ressaisit pourtant, et retira souplement son chapeau et inclinant la tête, en une élégante salutation. Avisant le lit sur lequel le prostitué s'était assit, il décida de s'y installer aussi, sans toutefois le brusquer. Il croisa ses jambes, restant à une distance raisonnable du jeune homme, et le regarda à nouveau, plus intensément. Il semblait ne pas accorder beaucoup d'importance à sa venue, et une interrogation muette troublait son regard. Sans s'être présenté, Kiyoharu choisit d'être naturel - L'ambiance ne ressemblait en rien à celle qui résultait souvent d'une rencontre entre une pute et un client.

"Ma venue est-elle si suprenante?"

Sans se départir de son sourire, il contempla un instant la chevelure du garçon et sa nuque incroyablement fine. Le jeune homme n'avait pas l'air très à l'aise, bien que l'indifférence semblait constituer son principal trait de caractère. Kiyoharu craignait que sa venue soit la cause de ce malaise, alors qu'il ne souhaitait que jouir de la présence du prostitué.

Shinya regarda l’homme retirer son chapeau et incliner sa tête dans un geste élégant qui se voulait même majestueux d’un air légèrement ahuri. C’était une des très rares personnes qui donnaient une valeur à leur ‘marchandise’ quand ils entraient, cependant, il savait bien que ce genre de gestes avait bien une contrepartie à la fin de la nuit, et ces types qui semblaient un tant soit peu courtois étaient des clients encore plus exigeants que les autre et desquelles il préférait se méfier. Néanmoins, il récita une prière muette que ce gars là n’en fasse pas partie, car il n’avait vraiment, mais alors vraiment pas envie que ses adieux à cette chambre soit peints d’un mauvais souvenir. Shinya fut sorti de ses songes par la voix harmonieuse, qui s’était élevée doucement dans les airs, de son client.

-Non, du tout.

Rien n’est surprenant, continua-t-il mentalement. Il lui avait franchement répondu, car il savait que tôt ou tard quelqu’un allait faire irruption dans cette chambre, alors valait mieux que ce soit tôt que tard. Et sentant le regard de son client, qui s’était -bizarrement devra-il dire- assit un peu plus loin de lui sur le lit, dans son dos, il se dit que peut être ce dernier attendait qu’il prenne l’initiative lui même. Et quand c’était le cas, il savait bien comme il fallait qu’il bouge, car oui il était un prostitué, mais non une salope; et ça ne lui plaisait point d’enculer les mouches quand ses clients attendaient avec impatience qu’il agisse –même si cela ne paraissait pas le cas de celui là-. De ce fait, il se leva doucement, en prenant par égoïsme soin de ne rien précipiter, car il détestait cela plus que tout au monde, et se tourna légèrement vers l’homme installé derrière lui avant d’entreprendre de se déshabiller lentement, puis comme s’il venait de se rappeler de quelque chose il arrêta tout geste et porta un regard naïvement interrogateur sur son client.

-Je me déshabille ? Ou bien…

Il avait laissé sa phrase en suspension car il n’avait absolument aucune idée de ce que l’autre pouvait bien avoir en tête et surement pas envie de gâcher sa nuit pour une idiotie sa part.

La réponse du prostitué avait arraché un sourire à Kiyoharu. Plus encore que ses paroles, c'était son regard qu'il l'intéressait. Ce jeune homme - Cet enfant, presque - semblait cacher une rancoeur douce-amère en son âme, et cela fascinait cruellement le tueur à gage. Il le laissa marcher jusqu'à lui avec lenteur, tout en se délectant de ses pas mesurés et élégants ; et ne manqua pas de dévorer du regard chacun de ses gestes - Et encore moins chaque parcelle de peau qui se dévoilait à ses yeux avides.
Il appréciait énormément les précieux mouvements du garçon, qui relevaient de la grâce et non de la mollesse, bien qu'il agisse de manière très lente. Dans cette chambre presque vide, empreinte d'une nostalgie douloureuse, entre ces murs ternes et le parquet usé, la présence du jeune homme était un soulagement, ou peut-être une torture - Depuis quelques temps, Kiyoharu ne se reconnaissait plus. Il avait rencontré quelques hommes étonnants qui l'avaient fait évoluer, contre son grés ; s'il avait fait face au prostitué il y a quelques mots, il l'aurait sans aucun doute prit égoïstement, bien qu'avec noblesse. Mais à présent, il était à même d'apprécier la beauté surnaturelle du garçon, et savourait sans détour la rondeur de ses épaules et la finesse de sa nuque. Et ses yeux! Il l'imaginait parfaitement crier, du haut de sa douceur encore enfantine, un virulent "Why don't you Fuck off and die" ; cette pensée le fit sourire, et il écrasa sa cigarette sur son talon avant de la lancer dans une poubelle en métal.

L'innocente question du prostitué le tira de sa rêverie, et il reprit contact avec la froide réalité de cette chambre glauque. Il offrit au jeune homme un sourire tendre - Un de ceux qu'il gardait pour son propre reflet - Et l'invita d'une main tendue à s'approcher de lui.

"Oui. Arrête... Juste un instant. Je voudrais, avant de te voir nu, être capable de mettre un nom sur ces yeux tristes et ce visage charmant."

Après quoi, et sans attendre que le garçon ne le rejoigne, il s'alluma une cigarette et lui en proposa une. Ils avaient le temps - En aucun cas, il ne voulait hâter les choses, et encore moins importuner le prostitué ; bien qu'il fusse conscient que le simple fait d'être assit sur son lit devait causer chez le garçon un sentiment désagréable. Il n'était jamais bon de craindre les hommes, et il avait du rencontrer tant de tordus que Kiyoharu n'avait aucune doute quant aux craintes du prostitué - Bien qu'il n'en laissait rien paraitre. Seulement, bien que le tueur à gage soit passé maitre dans l'art d'être traumatisant, il n'avait pour une fois aucune envie de brusquer le jeune homme.

Il voulait vivre cette nuit comme si elle était la dernière.

Shinya arrêta de se déshabiller sous la demande de son client et écouta attentivement sa réplique, yeux tristes et visage charmant ? Il avait l’étrange impression que ce n’était pas de lui qu’il parlait. Ou peut-être que cela lui ressemblait trop jusqu’à croire que ce n’était plus lui mais quelqu’un d’autre, dans les deux cas, il ne pouvait se décider pour cet étranger qu’il n’était bizarrement plus capable d’appeler importun. Une drôle de sensation lui voilait les idées à chaque fois qu’il le regardait dans les yeux, de façon qu’il ne puisse plus réfléchir trop correctement, tel une douce brume se faufilant dans les entrailles de son cerveau afin de l’empêcher de marcher normalement, comme pour qu’il arrête juste de penser et qu’il porte toute son attention sur cet homme de classe fascinante. Il abandonna le pan gauche de son débardeur, auquel il allait s’appliquer avant que son client ne lui dise d’arrêter, pendre un peu plus bas que son épaule dénudant sa peau à l’air frais, et les bras tendus vers le bas il s’avança doucement vers hôte les yeux ancrés dans les siens, tout en prenant conscience du sourire que ce dernier lui offrait, jusqu’à ce que sa voix ne l’éveil du sommeil où ses sens avaient sombrés.

-Si cela t'intéresse vraiment… c’est Shinya.

Sa voix avait prit ce teint mélancolique comme à son habitude quand il prononçait ces six lettres de son propre prénom, car il ne savait pourquoi, mais ça lui faisait toujours cet effet incompréhensible quand il annonçait son prénom à quelqu’un, comme s’il ne voulait pas de lui. Shinya regarda l’homme s’allumer une clope, avec une grâce qu’il ne connaissait pas à ses clients résumés dans des brutes et des pervers, puis lui tendre une, par courtoisie se dit-il. Et pour la première, et la dernière fois, depuis le début de son service dans ce sale foutoir, il hésita à l’accepter, car il n’y avait absolument pas question qu’il accepte quelque chose d’un client, même que ce soit un verre d’eau. Cependant, cette fois, il avait la curieuse impression que cet homme alla faire la différence, peut-être car il était beau et bien foutu, peut-être aussi car il était élégant, peut-être car il était courtois et patient, ou peut-être parce qu’il avait juste envie de l’accepter enfin, cette clope. Alors il la prit, se pencha légèrement pour qu’il la lui allume comme il n’avait aucune envie de dévoiler le contenu de ses tiroirs à son hôte dans le seul but de trouver un briquet, et juste au moment ou ses yeux rencontrèrent ceux de ce dernier éclairé par la faible flamme de son briquet, un frisson lui parcouru le dos, quand il fut incapable de reconnaitre ces feux qui brulaient dans les pupilles de ce dernier comme s’il se perdait quelques instants dans la contemplation de ce regard vague.

La descente sur terre se fit légèrement douloureuse lorsque l’obscurité reprit ses droits et que la flamme que le briquet tenait allumée s’éteignit, il recula un peu comme pour reprendre ses esprit, reluqua un instant la lampe posé sur sa table de chevet de l’autre côté et tira une longue taffe de sa cigarette. Après quoi il s’approcha délicatement de l’homme en prenant place à deux doigts de lui. Puis ne savant si par lassitude, fatigue ou par envie, Shinya posa doucement la tête sur l’épaule de son hôte et frémi lorsqu’il senti les doigts de ce dernier descendre par ses cheveux vers son dos en passant pas sa nuque. Normalement, il n’avait aucun plaisir sous les mains de ses clients, jamais il n’avait joui pour de vrai, jamais il n’avait crié par plaisir, jamais il n’avait frissonné sous les caresses d’un client. Il préféra alors de vouer l’incident à la froideur de la main de l’homme au lieu de se torturer les méninges à la recherche d’une raison.

Tout en Shinya fascinait Kiyoharu. Jusqu'à son prénom, qu'il avait lâché comme s'il n'était pas le sien, comme s'il n'était qu'un mot dérisoire l'attachant à sa réalité. Son détachement, surtout, le plongeait dans les méandres de son esprit, et il ne pouvait empêcher une multitude de question d'envahir ses pensées - Il s'interdisait pourtant de les poser au jeune prostitué, préférant contempler à loisir sa frêle silhouette animée avec grâce.

Il ne savait plus vraiment ce qu'il était venu faire ici - Etait-ce réellement pour baiser? L'envie même de profiter de la nuditié de Shinya lui avait échappé. Il lui semblait que sa présence ici était le fruit du destin, ou le résultat fortuit d'une errance devenue insupportable. Il ne croyait pas en la fatalité, mais le fait d'avoir échouer ici par hasard, et d'y trouver la plus belle chose qu'il aurait pu souhaiter de voir lui paraissait trop formidable pour le mettre sur le compte d'une coïncidence. Lorsque Shinya vint s'assoir tout près de lui, il put sentir l'odeur qui se dégageait faiblement de son corps et de ses cheveux - Il n'appréciait d'ordinaire que l'odeur de la sueur et du sexe, mais celle-ci était bien plus agréable. Elle n'avait rien de malsain, rien qui puisse laisser croire que ce corps s'offrait à plusieurs hommes par jour. Fruité mais pas sucrée, pâle et inssaisissable, l'odeur de Shinya semblait définir l'essence de son âme - Et bien qu'il ne connaisse rien du jeune homme, Kiyoharu crut apercevoir de la sorte une partie de son existence. Poussé par son désir (Qui n'avait, pour une fois, rien de sexuel), il laissa ses doigts venir à la rencontre de la peau de Shinya. Le plaisir de ce contact ne valait pas le sentiment que cela lui apportait - Il avait la sensation d'avoir sous ses doigts quelque chose qui aurait du être sacré, et qui pourtant n'avait jamais reçu la moindre marque de respect.

Le frisson du jeune homme ne lui échappa, et pour une fois aucun sourire moqueur ne vint orner ses lèvres. Au contraire de ses habitudes, il se pencha vers Shinya et déposa, doucement, un baiser sur sa nuque ; et bien qu'il se fasse l'effet d'un vieux lubrique, il garda son aisance. Sa main retomba lentement au bas du dos du jeune prostitué, et il la logea à même sa peau, parvenant parfois à ressentir sur sa paume les pulsations d'une veine. Shinya avait un épiderme incroyablement fin. Presque avec tristesse, il posa -Presque sans y réfléchir- la question qui lui torturait l'esprit.

"Que fais-tu ici?"

L’esprit de Shinya s’allégeait étrangement sous les mains de son hôte. Pour quelle raison est-ce que cet homme était capable de lui faire pareil effet ? Comment était-ce vrai ? Il sentit la chaleur d’un souffle s’approcher de sa nuque et se permit le plaisir que lui offrirent ces lèvres qui vinrent se poser gracieusement sur cette dernière. Shinya s’abandonnait à ce doux mirage qu’il savait éphémère avec regrets car rien que le fait de penser qu’il faiblissait devant une telle tentation de faire fondre ses désirs gelés le poussait machinalement à se morfondre les entrailles. Ainsi il savait déjà comment il alla briser ses propres lois en commettant son plus grand sacrilège, s’abandonner à un client.

S’abandonner tout court.

"Que fais-tu ici?"

Il avait l’impression qu’on se moquait de lui. Qu’il se moquait de lui. Pourquoi ? Il n’en avait aucune idée, pourtant la question posée n’avait rien d’anormal, même si Shinya ne lui trouvait aucun sens. Et pour la fraction d’une seconde, il se perdit dans une vague à l’âme dont il ne pouvait saisir l’origine. Rien que cette simple question, ces quatre mots formulés de la manière la plus facile à comprendre, cette voix qui se faufilait doucement dans ses tympans, cette main qui lui réchauffait mollement le dos ; rien qu’un seul geste et une phrase étaient capables de le pousser à se remettre lui-même en question. Que faisait-il ici ?

-Je travaille.

Voilà ce qu’il faisait, ce qu’il croyait faire, ce qu’il essayait croire faire. Car il ne savait pas ce qu’elle était, la vraie raison de sa présence ici. Il avait bel et bien fait de se répéter qu’il travaillait par besoin, manque d’argent, de came et d’activité, jamais il n’a parvenue à se convaincre. Shinya n’était pas un nymphomane et il en était sûr pour la simple raison qu’il n’a jamais prit aucun plaisir à coucher avec des inconnus, à leur faire l’amour et subir leur envies outrageantes. Ce qu’il cherchait était son propre plaisir, physique et spirituel, celui qui pourra dépasser ce que la drogue lui amenait, divinement charnel.

-Je fais mes adieux à cette chambre.

C’était ça, justement ça, parfaitement ça.